Impacts de la crise ukrainienne sur les missions des experts-comptables
Les sanctions à l’égard de la Russie évoluant régulièrement, le Conseil national de l'Ordre des experts-comptable (CNOEC) a publié une foire aux questions (FAQ) précisant les mesures de gel des avoirs et les impacts pratiques de la crise ukrainienne pour les experts-comptables français, leurs cabinets, ainsi que les associations de gestion et de comptabilité (AGC) (CNOEC, FAQ « Crise Ukrainienne au 18 mars 2022 - Mesures de gel des avoirs et impacts pratiques pour les experts-comptables », 18 mars 2022).
Communiqué du CNOEC au regard de la situation Ukraine / Russie
Nouvelle FAQ du CNOEC...
Suite aux premières mesures de sanctions dites « Mesures restrictives à l’égard de la Russie en réaction aux atteintes à l’intégrité et à la souveraineté de l’Ukraine » qui ont été prises par l’Union européenne (UE), le Conseil national de l'Ordre des experts-comptables (CNOEC, anciennement CSOEC) a publié une FAQ sur la crise Ukraine/Russie (CNOEC, FAQ « Crise Ukrainienne au 18 mars 2022 - Mesures de gel des avoirs et impacts pratiques pour les experts-comptables », 18 mars 2022).
Textes européens de référence
Le Haut conseil du commissariat aux comptes a relevé dans un communiqué, parmi les nombreux textes européens, les références suivantes (H3C, communiqué « Mesures restrictives décidées par le Conseil de l’Union européenne », 2 mars 2022) :
-le règlement UE 2022/336 du Conseil du 28 février 2022 mettant en œuvre le règlement UE 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine ;
-la décision PESC 2022/327 du Conseil du 25 février 2022 modifiant la décision PESC 2014/512 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine ;
-le règlement UE 2022/328 du Conseil du 25 février 2022 modifiant le règlement UE 833/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine.
... en réponse aux questions remontées par le Comité LAB
Cette FAQ complète un communiqué publié, peu de temps avant, sur le site ReflexLab reflexlab.experts-comptables.org (site dédié aux experts-comptables du Comité de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme / LCB-FT auprès du CNOEC) (Communication Reflexlab « Guerre en Ukraine : impacts des sanctions européennes pour les experts-comptables », 28 février 2022).
En effet, les sanctions à l’égard de la Russie évoluant presque tous les jours, certaines questions ont été remontées au Comité LAB du CNOEC par les professionnels concernés (voir ci-après). De premiers conseils avaient, ainsi, pu être délivrés s'agissant de la démarche à adopter par les professionnels confrontés à cette situation atypique. Ils portent sur le gel des avoirs, l'embargo sur certaines activités économiques, la consultation du site du Trésor sur les sanctions économiques et les cyberattaques potentielles.
Recommandations du Comité LAB relatives au gel des avoirs (Communication Reflexlab précitée).
Ces recommandations peuvent être présentées au travers des obligations, en matière de LCB-FT, contenues dans la norme professionnelle antiblanchiment, qui incombent aux experts-comptables associés et à ceux exerçant leur profession en tant que salarié.
Obligation de documentation des travaux et de leur conservation. La liste de gel des avoirs a été élargie à de nouvelles personnes et entités. Pour les experts-comptables, il est indispensable de vérifier si leurs clients/leurs dirigeants/les personnes agissant pour leur compte/leurs bénéficiaires effectifs, liés à la Russie ou à l’Ukraine y figurent. En pratique, la Direction générale du Trésor publie et tient à jour le registre national des mesures de gel des avoirs. Il est indispensable de conserver une trace de la recherche effectuée sur la liste du gel des avoirs.
Obligation de vigilance à l'égard de la clientèle. En cas de correspondance dans la liste de gel des avoirs, il convient de revisiter/réévaluer son acceptation du client et de décider de la poursuite ou non de la mission, notamment en fonction de la nature de celle-ci. Classer en risque élevé un client qui serait éventuellement conservé et exécuter des diligences renforcées sont également recommandés.
Obligation d'établissement d'une déclaration de soupçon à Tracfin. Il convient, notamment, pour tout transfert de fonds à destination/en provenance, directement ou indirectement, d’une entité figurant sur la liste de gel liée à la Russie et à l'Ukraine, de considérer ces opérations comme atypiques et de procéder à la démarche de clarification avant d’effectuer, le cas échéant, une déclaration de soupçon auprès de Tracfin.
Obligation d'information et de formation. En cas de correspondance dans la liste de gel des avoirs, il convient d'en informer la direction générale du Trésor (c. mon. et fin. art. L. 562-4 et R. 562-3).
Professionnels de l'expertise comptable concernés
Sont concernés par les précisions apportées par la FAQ, tous les experts-comptables français, leurs cabinets, ainsi que les associations de gestion et de comptabilité (AGC) qui ont des clients (FAQ précitée, quest. 1) :
-dirigeants ou personnes agissant pour leur compte ou leurs bénéficiaires effectifs figurant sur la liste nationale des gels des avoirs (comptant parmi les mesures restrictives envers la Russie) ;
-dont l’activité figure dans un règlement UE sur des restrictions commerciales/interdictions d’investissement (« embargos ») ;
-qui commercent avec des acteurs en Russie, Ukraine et Biélorussie ou leur rendent des services.
La CNCC a publié un communiqué sur les impacts de cette crise pour les commissaires aux comptes (CNCC, Communiqué Ukraine/Russie - Incidences sur les audits, 9 mars 2022 ; voir article RF Comptable 503, avril 2022, « Conflit en Ukraine : quels impacts sur les audits des comptes 2021 ? »).
Actions à mettre en œuvre
Les travaux à mettre en place par les professionnels susvisés sont synthétisés dans le tableau ci-dessous, avec les liens utiles (FAQ précitée, quest. 1 et 2).
Recommandation du CNOEC
Si vos clients sont concernés par les sanctions économiques sans pour autant figurer sur le registre national des gels, n’hésitez pas à user de votre devoir de conseil (FAQ précitée, quest. 2).
Travaux de l'expert-comptable et liens utiles relatifs à la crise actuelle Ukrainienne | |
---|---|
Consulter régulièrement les listes et règlements européens (gels, sanctions, restrictions…) (UE, réglt 833/2014 consolidé) (1). Les informations sur la mise en place de sanctions économiques et financières contre la Russie, ainsi que sur les mesures restrictives portant sur les exportations et les différents règlements, sont disponibles sur le site de la direction générale du Trésor (2) | |
S'abonner au flash « info gel » du Trésor qui met en lumière les mises à jour effectuées sur le registre national des gels dès leur publication et permet de se tenir au courant des évolutions des sanctions économiques | info-gel-subscribe@listes.finances.gouv.fr |
Envisager une API contenant la liste nationale des gels | |
Conserver une trace des recherches effectuées | |
(1) le règlement UE consolidé par la direction générale du Trésor est le premier document à consulter pour connaître les mesures restrictives à l'égard du pays concerné. (2) certains pays, tels que les États-Unis, ont pris des sanctions qui peuvent avoir une application extraterritoriale. Si, après analyse, vous pensez que vous pourriez être concernés, il convient de souscrire à une base de données privée des sanctions internationales et/ou de prendre une consultation spécialisée sur ce sujet. |
La question de la poursuite de la mission se pose
Interprétation « large » de la notion de correspondance avec la liste de gel des avoirs
L'expert-comptable peut être amené à détecter une correspondance du client, ses dirigeants, les personnes agissant pour son compte ou un bénéficiaire effectif, sur la liste de gel des avoirs.
Le CNOEC précise que cette correspondance doit être interprétée de façon extensive et prendre en compte les conjoints, partenaires et enfants des personnes soumises au gel même s’ils ne figurent pas sur la liste des gels, au titre d’une éventuelle détention indirecte (FAQ précitée, quest. 3).
Dans quels cas de figure la poursuite de la mission est-elle interdite ?
La continuation de certaines missions est interdite, à savoir (FAQ précitée, quest. 3) :
-les missions pour lesquelles des fonds ou des ressources économiques seraient mis, directement ou indirectement, à la disposition des personnes figurant sur la liste des gels ;
À ce titre, l'expert-comptable s’interdira immédiatement toute mission de mandat de paiement des dettes ou de recouvrement amiable des créances.
-les missions qui pourraient concourir au contournement des mesures de gels ou de sanctions économiques (toute mission de structuration juridique, d’assistance au financement, de cession d’actifs qui aiderait le client à contourner ces gels et embargos).
Il peut s'agir de toute mission de structuration juridique, d’assistance au financement, de cession d’actifs qui aiderait le client à contourner ces gels et embargos.
Questionnement sur le souhait de poursuivre la relation d'affaires
Le professionnel, au-delà de son analyse juridique sur les missions acceptables ou non, s’interrogera sur son souhait de maintenir la relation d’affaires au regard (FAQ précitée, quest. 3) :
-de sa confiance dans le client (éthique et intégrité du client) ;
-des risques réputationnels pour son cabinet.
Recommandation du CNOEC
Il ne paraît pas souhaitable d’accepter une nouvelle mission pour tout prospect figurant directement ou indirectement sur la liste nationale des gels (FAQ précitée, quest. 3).
Information du ministre chargé de l'Économie
Pour rappel, les experts-comptables sont tenus d'appliquer, sans délai, les mesures de gel et les interdictions de mise à disposition ou d'utilisation des fonds et d'en informer le ministre chargé de l’Économie (c. mon et fin. art. L. 562-4).
Cette information porte, notamment, sur les opérations suivantes (c. mon et fin. art. R. 562-3 ; FAQ précitée, quest. 4) :
-les opérations considérées comme étant contraires à une mesure de gel d'avoirs ou d'interdiction de mise à disposition de fonds ou de ressources économiques ;
-les opérations dont ils estiment qu'elles ont pour but ou pour effet de contourner les mesures de gel ou d'interdiction.
Cette information est transmise par courriel à sanctions-gel-avoirs@dgtresor.gouv.fr. Le format du courriel est libre mais doit préciser les références de l’expert-comptable et de son cabinet, le nom de la personne physique ou morale visée par le gel (directement ou indirectement), le fondement juridique du gel et le type de relation d’affaires ainsi que le contexte.
Les paiements ou les encaissements non exécutés dans le cadre d’une mission de mandat de paiement des dettes ou d’encaissement amiable des créances doivent donc faire l’objet d’une information.
La déclaration de soupçon n'est pas automatique mais doit intervenir dans certains cas
La déclaration de soupçon répond à des critères précis
La simple présence d'un client sur la liste de gel des avoirs doit amener le professionnel à élever son niveau de vigilance. En effet, un client figurant sur la liste nationale des gels sera classé à risque élevé en matière de LCB-FT et des diligences renforcées seront exécutées.
Toutefois, la déclaration de soupçon n'est pas automatique, dans ce cas, car elle doit répondre à des critères précis (FAQ précitée, quest. 5), rappelés ci-dessous.
Dans quels cas une déclaration de soupçon doit-elle être effectuée ? : rappels
La déclaration de soupçon doit uniquement être établie lorsque le professionnel sait, soupçonne ou a de bonnes raisons de soupçonner que les sommes ou opérations suspectes « proviennent d'une infraction passible d'une peine privative de liberté supérieure à un an ou participent au financement du terrorisme » (c. mon et fin. art. L. 561-15).
Cas pour lesquels une déclaration de soupçon doit être cumulée à une information au Trésor
Une déclaration de soupçon doit être effectuée par le professionnel, en sus de l’information au Trésor (voir ci-avant), s’il sait, soupçonne, ou a de bonnes raisons de soupçonner que les sommes ou opérations suspectes proviennent d’une infraction.
Le fait de contrevenir ou de tenter de contrevenir aux sanctions européennes est passible de sanctions pénales supérieures à un an d’emprisonnement (code des douanes art. 459-1 bis). C’est pourquoi, une déclaration de soupçon doit être effectuée par le professionnel, en sus de l’information au Trésor, voir ci-avant, s’il sait, soupçonne, ou à de bonnes raisons de soupçonner que les sommes ou opérations suspectes proviennent d’une telle infraction.
Démarche de clarification en amont d'une déclaration de soupçon auprès de TRACFIN
Il convient également de considérer comme des opérations atypiques en matière de LCB-FT et de procéder à la démarche de clarification avant d’effectuer, le cas échéant, une déclaration de soupçon auprès de Tracfin :
-tout transfert de fonds à destination ou en provenance, directement ou indirectement, d’une entité figurant sur la liste de gels liée notamment à la Russie, l'Ukraine et la Biélorussie ;
-tout transfert de fonds à destination ou en provenance, directement ou indirectement, de la Russie, de l'Ukraine ou de la Biélorussie ;
-toute transaction effectuée via une banque russe, ukrainienne ou biélorusse.
Peut-on faire exécuter des paiements par les banques du client malgré le gel des comptes bancaires ?
Dépenses pouvant bénéficier d'une mesure de « dégel »
Il est, néanmoins, possible de faire réaliser des paiements par les banques du client malgré le gel des comptes bancaires car une procédure de « dégel » s’applique à certaines dépenses après autorisation formelle du Trésor (FAQ précitée, quest. 6 ; UE, règlt 2022/261 du 23 février 2022 mettant en œuvre le règlement 269/2014, art. 4.1).
En effet, certains paiements peuvent bénéficier d’une mesure de « dégel », notamment, ceux des (FAQ précitée, quest. 7) :
-mensualités de prêts hypothécaires ;
-impôts ;
-primes d'assurance ;
-factures de services d'utilité publique.
Ces dépenses pourraient inclure pour un immeuble détenu directement ou par une SCI : les dépenses liées à l’entretien du bien, de gardiennage mais aussi les salaires, charges sociales et prélèvement à la source (PAS) pour les employés de maison, gardiens, jardiniers ainsi que l’IFI, la taxe foncière, etc.
La procédure à suivre pour demander ce « dégel »
La procédure à suivre par le professionnel pour un « dégel » est détaillée en question 9 de la FAQ.
Le téléservice « Sanctions financières internationales », accessible à l'adresse https://sanctionsfinancieres.dgtresor.gouv.fr/, permet aux professionnels concernés de saisir en ligne les demandes d’autorisation de transaction et les notifications liées aux régimes de sanctions financières internationales et de les envoyer à la direction générale du Trésor via une interface sécurisée. L'autorisation obtenue devra être envoyée à la banque qui pourra, alors, procéder au virement demandé (FAQ précitée, quest. 9).
Au niveau de la demande d’autorisation, il faut distinguer :
-les dépenses récurrentes. Une licence pourra être octroyée dans le cas d'une dépense récurrente. Il s’agit d’une autorisation générale, qui devra être suivie de notifications déposées également dans le téléservice à chaque fois qu’une dépense est engagée dans le cadre de cette licence.
-des dépenses non récurrentes. Une demande d’autorisation doit être effectuée à chaque fois, accompagnée des documents justifiant la dépense à payer. L’autorisation obtenue devra être envoyée à la banque qui pourra alors procéder au virement demandé.
Quid du paiement des honoraires de l'expert-comptable ?
Les honoraires de l’expert-comptable pourront être payés s’ils se rapportent à un contrat conclu antérieurement à la décision de gel affectant les comptes bancaires du client et si les prestations de l’expert-comptable à payer restent autorisées (UE, règlt 269/2014, art. 6 modifié).
En pratique, la procédure de « dégel » décrite pour certaines dépenses s’appliquera alors (FAQ précitée, quest. 9) (voir ci-avant). Des justificatifs devront être fournis et un délai pour débloquer effectivement le paiement devra être anticipé (FAQ précitée, quest. 8).
L'expert-comptable ou l'AGC peut être amené(e) à détecter une correspondance d'un de ses clients, ses dirigeants, les personnes agissant pour son compte ou un bénéficiaire effectif, sur la liste de gel des avoirs, ce qui impliquerait d'élever son niveau de vigilance à leur égard.
Le caractère acceptable ou non de certaines missions est analysé par l'expert-comptable ou l'AGC qui s'interroge aussi sur son souhait de maintenir la relation d’affaires.
Un client figurant sur la liste nationale des gels sera classé à risque élevé en matière de LCB-FT et des diligences renforcées seront exécutées. Toutefois, la déclaration de soupçon ne sera pas automatique car elle répond à des critères précis.
La procédure de « dégel » applicable à certaines dépenses pourra, sous certaines conditions, en principe s'étendre au paiement des honoraires de l'expert-comptable.