Rencontre avec Cécile de Saint Michel : facturation électronique, data et digitalisation sont de grandes opportunités pour la profession comptable
Cécile De Saint Michel
Présidente du Conseil national de l'Ordre des experts-comptables (CNOEC)
CNOEC
Cécile de Saint Michel, présidente du Conseil national de l'Ordre des experts-comptables, répond à nos questions sur les enjeux de la facturation électronique, de la gestion de la « data » et de l'intelligence artificielle, à la fois pour les entreprises clientes des cabinets d'expertise comptable et pour la profession comptable dans son ensemble.
Le 78e Congrès de l’Ordre des experts-comptables qui se tient fin septembre 2023 s'articulera autour du thème « De la facture électronique à la data, le début d’une nouvelle ère ». Pourquoi les experts-comptables sont-ils depuis longtemps aux avant-postes sur la digitalisation des opérations comptables, financières et de gestion et leurs enjeux pour leurs clients ?
Les experts-comptables sont en alerte sur ce sujet depuis les prémices, le tout début de la facture électronique, avant même qu'il n'arrive en France, puisque certains de nos pays voisins nous ont précédés en la matière. J'ai, par exemple, le souvenir d'être allée avec mes confrères, en tant qu'élue pendant 10 ans au sein du Conseil régional de l'Ordre des experts-comptables de Paris, rencontrer nos homologues italiens, l'Italie ayant adopté la facture électronique il y a environ 8 ans, car nous avons toujours su que la facture électronique aurait un fort impact sur notre métier, qu'elle toucherait l'ADN même de notre profession, ne serait-ce que via l'automatisation des écritures comptables tout simplement.
C'est donc un enjeu très important pour la profession et pour nos clients. Étant les partenaires privilégiés, les premiers partenaires, des chefs d'entreprise, les experts-comptables sont forcément, depuis le début, en alerte sur la facturation électronique, tout comme ils le sont sur tous les sujets qui impactent leurs clients.
La réforme de la facture électronique a certes été décalée d'un an, et l'est de nouveau, mais a priori plus pour longtemps, l'échéance est très proche ! et cela pose encore des questionnements. C'est un enjeu et une opportunité extraordinaires pour la profession. C'est pourquoi, naturellement, le Congrès de l'Ordre des experts-comptables, qui se tient cette année à Montpellier, est toujours axé, en grande partie, sur la facturation électronique mais ce thème y est également décliné vers la gestion de la data et l'utilisation de l'intelligence artificielle.
Les TPE et les PME se disent inquiètes par rapport à la réforme de la facture électronique et estiment ne pas être suffisamment informées par les pouvoirs publics sur leurs obligations en la matière. Comment les experts-comptables peuvent-ils accompagner ces entreprises ?
Il est déjà, dans un premier temps, essentiel d'expliquer aux chefs d'entreprise ce qu'est la facture électronique. C'est indispensable car, selon un sondage que nous avons réalisé, beaucoup d'entreprises ne sont pas encore prêtes : 74 % des dirigeants confondent facture électronique et envoi d'une facture en pdf, il y a donc un accompagnement pédagogique à réaliser afin que nos clients soient en capacité de recevoir des factures électroniques très prochainement (la date du 1er juillet 2024 vient d'être décalée et la nouvelle échéance sera connue d'ici fin 2023). Toutes les entreprises n'y sont pas obligées car c'est une obligation dans le cadre du BtoB, donc entre professionnels, pas pour les entreprises travaillant avec des particuliers, mais nous interpellons nos clients sur cette échéance qui va venir très vite.
Après ce premier volet pédagogique, le rôle de l'expert-comptable est l'accompagnement dans un premier domaine : le domaine technologique, à savoir l'adhésion à une PDP, la fameuse plate-forme PDP. Or, ce qui est un peu compliqué est que nous n'avons pas toutes les données car les plate-formes PDP ne seront connues que fin 2023.
Les chefs d'entreprise ont confiance dans leur expert-comptable, c'est pourquoi ce travail pédagogique et comment mettre en place la facture électronique au sein des entreprises sont des rôles qui vont incomber aux experts-comptables, c'est certain.
En réalité, ces missions d'accompagnement pédagogiques et technologiques que je viens d'évoquer sont indispensables mais les missions d'accompagnement qui suivront, une fois que la facture électronique sera mise en place, seront les plus significatives.
En effet, la facturation électronique et les nouvelles technologies d'une manière générale vont permettre de gagner du temps sur de la saisie comptable et sur le temps consacré au déclaratif. Ce temps dégagé servira à proposer d'autres missions d'accompagnement que nous n'avons pas le temps de faire mais que nous savons faire. Il s'agit, par exemple, de proposer plus de tableaux de bord et plus régulièrement, d'effectuer des calculs de coûts de revient, du full-service ou encore les relances clients de nos clients parce que c'est cela que les clients attendent de nous mais nous n'avons pas le temps de le proposer actuellement car nous sommes absorbés par la partie déclarative. Ainsi, de nouvelles missions vont naître grâce à la facture électronique.
S'agissant de la mise en place progressive du transfert de données dans le cadre de l'e-reporting TVA, qui suit celle de la facturation électronique, comment les experts-comptables pourront-ils accompagner les entreprises, notamment les TPE, dans la remontée d'informations adéquates provenant des logiciels de caisse ?
La motivation première de la mise en place de la facture électronique est la lutte contre la fraude fiscale, il ne faut pas l'oublier, et l'e-reporting TVA en est la suite logique. En tant qu'interlocuteurs privilégiés des chefs d'entreprise, parce qu'ils connaissent leurs entreprises clientes sous la globalité de leurs aspects, les experts-comptables vont, là aussi, jouer un rôle majeur pour aider les entreprises à répondre au mieux aux exigences de ce e-reporting TVA.
On imagine bien, même si ce n'est pas encore annoncé, que cela évoluera, à terme, vers un remplissage automatique des déclarations de TVA voire, si on se projette plus loin, vers un précompte de la TVA, en direct, c'est-à-dire l'encaissement de la TVA en temps réel par l'État au moment de l'émission de la facture.
Les experts-comptables, dans ce cadre, vont contrôler ces déclarations de TVA. Leur rôle d'accompagnement des entreprises sera donc un rôle de contrôle des déclarations, de contrôle des risques mais aussi, même si c'est un peu réducteur parfois, un rôle de… gestionnaires de la data.
Les profils de recrutements dans les cabinets d'expertise comptable vont donc évoluer en conséquence…
Oui, tout à fait, on aura besoin d'une multitude de profils différents, que nous n'avions pas dans nos cabinets jusqu'à présent et dont on n'avait pas besoin jusqu'ici.
Alors que pendant longtemps on avait besoin de collaborateurs issus d'un même « moule », d'une même filière professionnelle, il faudra recruter des data analysts mais aussi des spécialistes en cybersécurité car, à partir du moment où il y a de la gestion de data, il faut protéger cette data, et aussi des spécialistes RSE.
Les cabinets et entreprises auront toujours besoin d'eux, bien évidemment, mais il y aura beaucoup de profils nouveaux, de nouvelles compétences requises.
C'est d'ailleurs un des rôles principaux de l'Ordre : mettre en place des formations adéquates pour faire monter en compétences les collaborateurs de cabinets, leur permettre d'acquérir de nouvelles compétences voire de se reconvertir au sein des cabinets, car nous sommes garants de leur employabilité en tant qu'employeurs.
À cette fin, un grand programme de formation, comme il n'y en a jamais eu depuis 1945, va être déployé. Il s'agit de formations à destination des collaborateurs notamment. Dans le cadre du plan « Deffinum » lancé par le Gouvernement (https://travail-emploi.gouv.fr/le-ministere-en-action/relance-activite/investir-dans-les-competences/article/deffinum ), le Centre de Formation de la Profession Comptable (CFPC) a obtenu une subvention de 3 M€. Les formations visées sont à destination des collaborateurs uniquement et vont être démarrées au moment du Congrès. Ce seront des formats innovants, qui vont au-delà du e-learning.
Lors de la dernière séance plénière du Congrès, toute une partie sera consacrée à ce plan de formation et aux outils qui l'accompagnent, la formation étant la pierre angulaire de la profession. Ces formations s'adressent aux collaborateurs en particulier comme évoqué précédemment, mais les experts-comptables sont également concernés bien sûr, ce n'est juste pas le même plan de formation.
Les cabinets d'expertise comptable ne sont pas les seuls concernés par la facturation électronique et ses conséquences et les nouvelles technologies. Les comptables en entreprise sont également visés par ces enjeux de formation, c'est pourquoi nous nous proposons de déployer notre plan de formation auprès de toute la filière comptable.
Le Congrès sera-t-il consacré, au-delà de la facture électronique, aux nouveaux « terrains de jeu » qui s'offrent à la profession ?
Comme tous les ans, le Congrès est le moment fort pour la profession (https://congres.experts-comptables.com/). Au-delà de la facture électronique qui est le point de départ car c'est pour très bientôt, le Congrès traite de la data et du début d'une nouvelle ère, avec l'intelligence artificielle et son développement très rapide.
L'objectif du Congrès est de démontrer que toute cette technologie est une opportunité comme on n'en a jamais eu dans la profession. On a deux « terrains de jeu » extraordinaires qui se déploient pour la profession : la facture électronique et le numérique dans son ensemble et, de l'autre côté, la durabilité, avec des perspectives de nouvelles missions à valeur ajoutée. Il faut, cependant, rester vigilants sur le fait que ce temps dégagé pour de nouvelles missions ne soit pas « repris » pour être utilisé sur de nouvelles déclarations, comme dernièrement avec la déclaration des biens immobiliers.
En effet, quand il s'agit d'attestations, même si cela peut être chronophage pour nous, experts-comptables, c'est valorisant quand même parce que cela signifie que l'administration a confiance dans notre signature, et nous permettons ainsi à nos clients d'obtenir des aides financières, des subventions, comme lors de la crise « Covid ». En revanche, par exemple, la nouvelle déclaration des biens immobiliers que j'évoquais, même si elle ne concerne pas que les entreprises mais aussi les particuliers, constitue une extériorisation pure et simple de compétences qui incombent normalement à l'administration fiscale ; cette dernière externalise ces compétences vers les experts-comptables et les contribuables et cela devient intolérable.
En substance, il faut œuvrer, résister si besoin, pour que ce gain de temps grâce aux nouvelles technologies soit consacré à nos clients, aux entreprises, et pas à l'administration fiscale. Si nous utilisons ce gain de temps pour offrir des missions à valeur ajoutée à nos clients, ces nouvelles technologies sont des opportunités. Quand le client est conscient du bénéfice, de la valeur ajoutée que lui apportent ces missions, il n'y a finalement pas de problématique pour facturer. Les éventuelles problématiques de facturation se posent uniquement quand le client voit qu'une mission ne lui apporte rien de particulier, or une mission purement déclarative comme celle sur les biens immobiliers n'apporte en soi rien aux clients, c'est donc dommage que ce temps qui pourrait être consacré à de la vraie valeur ajoutée soit absorbé par du déclaratif.
En conclusion, ce n'est pas la fin des comptables, bien au contraire ! et c'est le message qu'apporte le prochain Congrès de l'Ordre des experts-comptables. D'ailleurs, l'attractivité de la profession demeure, y compris en se transformant dans cette nouvelle ère : ainsi, 2022 a enregistré le plus grand nombre de diplômés d'expertise comptable, il y a bien plus de diplômés DCG et DSCG que les années antérieures et la profession enregistre + 15 % d'embauches sur les dernières années.