Situation Ukraine/Russie : quelles sont les incidences à prendre en compte dans les audits ?
Au regard de la situation actuelle entre l’Ukraine et la Russie, la Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC) précise si des incidences de ce conflit sont (ou non) à considérer sur les arrêtés des comptes 2021 et les rapports du commissaire aux comptes y afférents. Certaines entités pourraient, notamment, être confrontées, du fait de cette situation, à des difficultés en matière de continuité d’exploitation. Les documents prévisionnels établis, le cas échéant, après la date de début du conflit, soit le 24 février 2022, doivent intégrer les impacts de cette situation (CNCC, Communiqué Ukraine/Russie - Incidence sur les audits, 9 mars 2022).
Communiqué de la CNCC au regard de la situation Ukraine / Russie
Communiqué CNCC faisant suite à une publication du H3C
La Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC) vient de publier un communiqué qui traite des impacts des opérations militaires en Ukraine, qui ont commencé le 24 février 2022, et des sanctions prises contre la Russie par de nombreux États. Celles-ci ont d'ores et déjà des incidences sur l’activité de nombreux groupes internationaux et auront une incidence sur l’économie mondiale (CNCC, communiqué Ukraine/Russie - Incidence sur les audits, 9 mars 2022).
Cette publication fait suite à la parution d'un communiqué du Haut conseil du commissariat aux comptes (H3C), du 2 mars dernier, sur les mesures restrictives décidées par le Conseil de l’Union européenne (UE) eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (voir ci-après).
En effet, certaines mesures obligatoires applicables dans tous les États membres de l'UE sont susceptibles d'impacter le CAC, notamment, en tant qu'assujetti aux obligations relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LCB/FT) (H3C, communiqué « Mesures restrictives décidées par le Conseil de l'Union européenne » , 2 mars 2022).
Points d'attention relatifs aux mesures restrictives applicables, relevés par le H3C
Dans ce communiqué, le H3C avait attiré l'attention des CAC sur (H3C, communiqué précité) :
-le gel des avoirs. Pour rappel, la Direction générale du Trésor publie et tient à jour le registre national des mesures de gel des avoirs permettant au CAC de mettre en œuvre certaines de ses obligations LCB/FT portant, notamment, sur les mesures de vigilance préalables à l’acceptation, au cours de la relation d’affaires ou avant d’accepter de fournir un service à un client occasionnel ;
-les restrictions applicables dans différents secteurs d’activité (aéronautique, spatial et de l’énergie). Ces restrictions modifient la légalité de certaines opérations susceptibles d’être identifiées par le CAC dans le cadre de ses missions.
Les incidences de la situation Ukraine/Russie sur la communication et les publications financières des sociétés cotées traitées dans le communiqué de la CNCC ne sont pas présentées au niveau des développements ci-après.
Vigilance du CAC face à la situation de conflit
Incidences sur l'activité économique
Dans son propre communiqué du 9 mars dernier, la CNCC note que la situation de conflit militaire entre la Russie et l'Ukraine et les restrictions actuelles précitées engendrent des incidences sur l’activité économique.
Le CNOEC a également publié une foire aux questions consacrée aux impacts de la crise ukrainienne (CNOEC, FAQ « Crise Ukrainienne au 18 mars 2022 -Mesures de gel des avoirs et impacts pratiques pour les experts-comptables », 18 mars 2022) (voir panorama de ce numéro).
En effet, des difficultés pour les activités de production et de distribution ainsi que des incidences sur les ventes, les approvisionnements, la chaîne de production et la valeur de certains actifs, soit directement, soit par l’intermédiaire de filiales en Ukraine, sont à prévoir.
Les impacts sur les approvisionnements peuvent se traduire par la hausse des cours des matières premières et du prix de l’énergie.
Les incidences sur la chaîne de production peuvent représenter une non-disponibilité de certaines matières ou composants.
Nature des autres risques potentiels
Risque de liquidité
Pour certaines entités, un risque de liquidité est engendré par la situation des banques russes et ukrainiennes.
Risques de crédit et d'assurance
Une potentielle augmentation des risques directs liés aux expositions en Ukraine et en Russie, mais également indirects du fait des répercussions de ce conflit sur les autres clients de ces institutions pour les prestataires de services financiers et, en particulier, des services de crédit et d’assurance est attendue.
Risque de difficultés de continuité d'exploitation
Certaines entités pourraient être confrontées, également, du fait de cette situation, à des difficultés en matière de continuité d’exploitation (voir ci-après).
Risque de cyber-attaques
La CNCC relève également que les risques en matière de cybersécurité sont accrus dans ce contexte. Signalons, à ce titre, que l'Agence nationale pour la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) a émis des recommandations en la matière que les CAC peuvent utilement communiquer à leurs clients dans le cadre de leur évaluation des risques (ANSSI, Guide « Anticiper et gérer sa communication de crise cyber », décembre 2021) (voir dans ce numéro « Gestion de crise cyber : anticiper sa communication pour réagir rapidement »).
Incidences sur les arrêtés de comptes 2021 et les rapports du CAC
Le conflit constitue un « évènement survenu en 2022 »
Selon la CNCC, qu’il s’agisse des comptes établis en application des principes comptables français ou IFRS, cette situation de conflit est un évènement survenu en 2022.
Par conséquent, aucune incidence n’est à constater dans les comptes d’un exercice clos à une date antérieure au 24 février 2022 correspondant à l’action militaire en Ukraine (voir ci-avant), notamment, dans les comptes clos au 31 décembre 2021, que ce soit en matière d’évaluation d’actifs, de provisions ou d’appréciation du contrôle sur les entités incluses dans le périmètre de consolidation, hormis, le cas échéant, les informations à fournir en annexe au titre des évènements postérieurs à la clôture de l’exercice.
Les précisions suivantes sont donc très similaires à celles qui avaient été communiquées par la CNCC en 2020 relatives à l’audit des comptes de l’exercice 2019 sur la situation de l’épidémie de Covid-19, qui était un évènement survenu en 2020 (CNCC, FAQ « Questions / réponses relatives aux conséquences de la crise sanitaire et économique liée à l'épidémie de Covid-19 », 9e édition, décembre 2021).
Quelle information dans les comptes des exercices clos le 31 décembre 2021 et quelle(s) incidence(s) sur les rapports d’audit ?
La situation de conflit actuelle représentant un évènement 2022, l’information correspondante doit être donnée au titre des évènements postérieurs à la clôture de l’exercice (NEP 560 « Évènements postérieurs à la clôture de l'exercice », § 3).
Les incidences de cet évènement postérieur à la clôture sont différentes selon la date à laquelle :
-les comptes et le rapport de gestion sont arrêtés ;
-et le rapport du commissaire aux comptes sur les comptes est émis.
Elles sont synthétisées dans le tableau ci-après.
Incidences de l'évènement postérieur à la clôture correspondant à la situation de conflit Ukraine/Russie | ||
---|---|---|
Si les comptes et le rapport de gestion ont déjà été arrêtés (1) | Si les comptes et le rapport de gestion n’ont pas été arrêtés | |
Évènement connu avant la date d’émission du rapport d’audit | Évènement connu après la date d’émission du rapport d’audit et avant la date d’assemblée générale d’approbation des comptes | Dans ce cas, cet évènement doit être mentionné au titre des évènements postérieurs à la clôture dans l'annexe et le rapport de gestion : -en présence d’une telle information dans l’annexe, le CAC peut souhaiter y faire référence au titre d’une observation pour attirer l’attention du lecteur ; -en l’absence d’une telle information dans l'annexe et le rapport de gestion, si elle est significative, le CAC en tire les conséquences sur son opinion et / ou sur les conclusions au titre de ses vérifications spécifiques. |
Si l’incidence de cet évènement est significative, le CAC s’enquiert auprès de l’organe compétent de son intention de communiquer une information sur cet évènement à l’organe appelé à statuer sur les comptes en application de la NEP 560 précitée (NEP 560, § 14). Lorsqu’une telle communication n’est pas prévue, le CAC en fait mention dans son rapport d'audit dans la partie « Vérifications spécifiques ». Le CAC peut juger utile d’obtenir confirmation, via une lettre d’affirmation, qu’une communication sera effectuée en assemblée générale sur cet évènement. | Le CAC peut demander à être destinataire du projet de communication de l’entité destinée à l’assemblée générale. Lorsqu’une telle communication n’est pas prévue, le CAC rédige une communication dont il est donné lecture lors de la réunion de l’organe appelé à statuer sur les comptes ou qui est portée à sa connaissance (NEP 560, § 18). | |
(1) Dans ce cas, il n’y a aucune obligation pour l’entité d’arrêter de nouveaux comptes et/ou d'établir un nouveau rapport de gestion. Les sociétés qui seraient particulièrement exposées et dont les comptes sont déjà arrêtés pourraient néanmoins décider d’un nouvel arrêté, afin de compléter les annexes / rapport de gestion sur ces sujets. |
Incertitude significative sur la continuité d’exploitation
L'objectif de la mission du commissaire aux comptes est, notamment, d’anticiper les difficultés des entreprises qui pourraient mettre en cause la continuité d’exploitation.
En cas d'incidence significative mentionnée dans l'annexe
Lorsque la situation de guerre actuelle entre la Russie et l'Ukraine est de nature à créer une incertitude significative sur la continuité d’exploitation de l'entité auditée et si celle-ci est mentionnée dans l'annexe, le CAC y fait référence dans son rapport d'audit , dans la partie « Incertitude significative liée à la continuité d’exploitation » (NEP 570 « Continuité d'exploitation », § 13).
En l'absence de mention dans l'annexe
Toutefois, si l’incertitude significative liée au conflit actuel ne fait pas l'objet d'une mention dans l'annexe :
-si elle existait à la date d’arrêté des comptes, le CAC en tire les conséquences sur son opinion (réserve pour désaccord ou refus de certifier) ;
-si elle est née postérieurement à la date d’arrêté des comptes et que l’entité n’a pas choisi de procéder à un nouvel arrêté des comptes, le CAC mentionne cette incertitude significative sur la continuité d’exploitation dans son rapport (voir exemple CNCC FAQ précitée, chapitre 2, § 1.7).
Incidences pour les entités tenues d'établir des documents prévisionnels
Rappels
Les entités devant établir des documents prévisionnels
Les sociétés commerciales et les personnes morales de droit privé non commerçantes ayant une activité économique sont tenues d’établir, lorsqu’elles comptent 300 salariés ou plus à la clôture de leur exercice, ou lorsque leur chiffre d’affaires net (ou les ressources) à cette même date est égal ou supérieur à 18 M€ (c. com. art. L. 232-2, R. 232-2, R. 232-3, L. 612-2 et R. 612-3) :
-une situation de l’actif réalisable et disponible, valeurs d’exploitation exclues, et du passif exigible, semestriellement, dans les 4 mois qui suivent la clôture de chaque semestre ;
-un tableau de financement, annuellement, en même temps que les comptes annuels, dans les 4 mois qui suivent la clôture de l’exercice ;
-un plan de financement et un compte de résultat prévisionnels, annuellement, au plus tard à l’expiration du 4e mois qui suit l’ouverture de l’exercice en cours ; le compte de résultat prévisionnel est, en outre, révisé dans les 4 mois qui suivent l’ouverture du 2d semestre de l’exercice.
Le seuil de 300 salariés s’apprécie en prenant en compte les salariés des sociétés détenues, directement ou indirectement, à plus de 50 % (c. com. art. L. 232-2, dernier alinéa).
Ces documents sont complétés par des rapports qui commentent l’information donnée et qui décrivent les conventions comptables, les méthodes utilisées et les hypothèses retenues et en justifient la pertinence et la cohérence.
Les documents et rapports sont, notamment, communiqués au commissaire aux comptes dans les 8 jours de leur établissement (c. com. art. L. 232-3, L. 232-4, L. 612-2, R. 232-4 et R. 232-6). S’ils ne sont pas établis ou appellent des observations de sa part, le CAC le signale dans un rapport à l’organe compétent de l’entité (c. com. art. L. 232-3, L. 232-4, L. 612-2 et R. 232-7).
Adaptations de l'intervention du CAC suite à la crise liée à la pandémie de Covid-19
La crise liée à la pandémie de Covid-19 a affecté l’activité d’une majorité d’entreprises et a rendu difficiles les prévisions d’exploitation et de trésorerie. Dans ce contexte, la CNCC avait publié un communiqué à destination de ses membres qui interviennent auprès des entités tenues d’établir les documents d’information financière et prévisionnelle (CNCC, FAQ précitée, quest. 1.21 et CNCC, communiqué « Intervention du CAC sur les documents prévisionnels établis par l’entité en application des articles L. 232-2 ou L. 612-2 du code de commerce, dans le contexte de la crise liée au Covid-19 », mai 2020).
Pour rappel, le CAC devait être plus particulièrement attentif aux documents à caractère prospectif (compte de résultat prévisionnel et plan de financement) et à la cohérence des hypothèses retenues par la direction pour les établir. S’agissant des documents rétrospectifs (tableau de financement et situation financière à court terme), le CAC pouvait, notamment, vérifier :
-la pertinence de la présentation des documents et des méthodes retenues pour les établir ;
-la concordance des éléments chiffrés contenus dans ces documents avec les données de la comptabilité dont ils sont issus.
Le CAC devait établir, en outre, un rapport lorsque les documents et rapports d’analyse appelaient des observations de sa part (c. com. art. L. 232-3, L. 232-4 et L. 612-2).
Les conséquences de la crise sur les travaux du CAC qui interviennent auprès d'entités tenues d'établir les documents d'information financière et prévisionnelle sont détaillées dans un article précédent (voir RF Comptable 483, juin 2020 « Documents prévisionnels : intervention du commissaire aux comptes adaptée à la crise »).
Impacts du conflit Ukraine/Russie à intégrer au niveau des documents prévisionnels
Documents prévisionnels concernés
Les documents prévisionnels établis après le 24 février 2022 intègrent, le cas échéant, les incidences de la situation en Ukraine.
Si tel n'est pas le cas, le CAC émet un rapport avec observations (CNCC, communiqué Ukraine/Russie précité, § II.4).
Adaptations de la démarche du CAC face à la situation Ukraine / Russie
Selon la CNCC, la doctrine relative aux documents prévisionnels développée à l’occasion de la pandémie de Covid-19 s’applique également à la situation en Ukraine (CNCC, communiqué Ukraine/Russie précité, § II.4) (voir notre « En pratique » ci-avant).
Le communiqué de la CNCC sur la crise actuelle entre l'Ukraine et la Russie vient compléter une publication du H3C.
Le CAC doit être vigilant sur les impacts de ce conflit sur l'activité économique des sociétés auditées ainsi que sur d'autres risques potentiels.
La situation de conflit Ukraine /Russie représente un évènement 2022, dont l’information correspondante doit être donnée au titre des évènements postérieurs à la clôture de l’exercice.
La mission du CAC inclut l’anticipation des difficultés des entreprises liées au conflit actuel qui pourraient mettre en cause leur continuité d’exploitation.
Le CAC adapte également sa démarche s'agissant des documents prévisionnels émis après le 24 février 2022, pour les entités tenues d'en établir.