Le CAC peut-il fournir une prestation d'examen de conformité fiscale ?
L'examen de conformité fiscale (ECF) ne crée pas de risque d’autorévision ou de risque pour l’indépendance du commissaire aux comptes s’il est réalisé par celui-ci pour l’entité dont il certifie les comptes. Il en est de même si l'ECF est réalisé par le réseau du CAC de l’entité.
L’ECF peut également être réalisé par un CAC pour une entité dont il ne certifie pas les comptes, sous réserve d’avoir réalisé une analyse sur les prestations fournies par lui-même ou un membre de son réseau pour ladite entité qui continuent à produire leurs effets (CNCC, CEP 2021-06, décembre 2021).
L'ECF : une nouvelle prestation, appartenant aux services non audit
Contexte de libéralisation des services non audit
La loi PACTE a bouleversé l’exercice de la profession de commissaire aux comptes (CAC) (loi 2019-486 du 22 mai 2019, JO du 23, art. 21 et 23) et entraîné, notamment, la « libéralisation » des services non audit. C'est dans ce contexte que la Commission d’éthique professionnelle (CEP) de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC) a été saisie de questions sur la possibilité (ou non), pour un CAC, de fournir certains services et attestations concomitamment à la mission de certification des comptes, notamment les nouvelles offres de la profession (voir RF Comptable 497, octobre 2021, « Audit post loi PACTE : les nouvelles offres et les services auparavant interdits sont-ils compatibles avec la certification des comptes ? »).
Les positions exprimées par la Commission d’éthique professionnelle de la CNCC doivent se lire dans le contexte décrit dans le document questions / réponses d’avril 2021 et requièrent une analyse au cas par cas du professionnel (CNCC, « Questions/réponses relatives au code de déontologie post PACTE », avril 2021 ; voir RF Comptable 489, janvier 2021, « Le nouveau cadre déontologique du commissariat aux comptes : missions et prestations après la loi PACTE »).
Définition de l'examen de conformité fiscale (ECF)
L'examen de conformité fiscale, ou ECF, est une prestation contractuelle au titre de laquelle un prestataire s’engage, en toute indépendance, à la demande d’une entreprise, à se prononcer sur la conformité aux règles fiscales des points prévus dans un chemin d’audit et selon un cahier des charges définis par arrêté du ministre chargé du budget (décret 2021-25 du 13 janvier 2021, JO du 14 ; arrêté du 13 janvier 2021).
Le ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance prévoit que le prestataire réalisant l'examen de conformité fiscale peut, notamment, être un commissaire aux comptes.
Sur son site Internet, le ministère précise que le prestataire réalisant l'examen de conformité fiscale peut également être un comptable, un avocat, une association de gestion et de comptabilité (AGC) ou un organisme de gestion agréé (OGA). Ndlr : on peut imaginer que le « comptable » visé est ici l'expert-comptable.
Commissariat aux comptes et réalisation d'un ECF : analyse des risques éthiques
Questions posées à la Commission d'éthique professionnelle (CEP)
La Commission d'éthique professionnelle (CEP) de la CNCC apporte des précisions sur les deux problématiques suivantes qui lui ont été posées s'agissant de l'ECF, en déterminant s'il existe un risque d'autorévision ou d'autres risques pour l'indépendance du CAC :
-le CAC d’une entité dont les comptes sont certifiés, ou son réseau, peut-il réaliser un examen de conformité fiscale pour cette dernière ? ;
-un CAC peut-il, en dehors de toute mission légale, réaliser un examen de conformité fiscale au bénéfice d’une entité ?
La Commission d'éthique professionnelle a répondu, concomitamment, sur un tout autre sujet que nous avons précédemment commenté, répondant à la question suivante : un cac peut-il mettre un de ses salariés à disposition d'une entité qu'il audite ? (CNCC, CEP 2021-07, novembre 2021 ; voir RF Comptable 500, janvier 2022, « Le CAC peut-il mettre un de ses salariés à disposition de l'entité dont il certifie les comptes ? »).
Typologie des risques pouvant nuire à l'indépendance du CAC
Pour rappel, dans l’exercice de son activité professionnelle, le CAC peut être confronté à plusieurs risques pour son indépendance :
-le risque d’émettre des conclusions biaisées par un parti pris, un conflit d'intérêts, ou une influence liée à des liens personnels, financiers ou professionnels directs ou indirects (c. déont. art. 5) ;
-le risque d’autorévision (c. déont. art. 5) ;
-le risque d’atteinte à l’impartialité (c. déont. art. 4) ;
-le risque d’atteinte à l’intégrité (c. déont. art. 3).
Le principe de déontologie consistant pour le CAC à éviter les situations comportant des risques pour son indépendance est applicable à toutes les missions et prestations du commissaire aux comptes, que celui-ci exerce ou non une mission de contrôle légal des comptes de l’entité (c. déont. art. 19).
Dans quels cas et conditions le CAC peut-il réaliser un ECF ?
La CEP a analysé les différents cas possibles
La Commission d'éthique professionnelle de la CNCC précise, à la suite d'une analyse des services fournis, si la réalisation d’un examen de conformité fiscale (ECF) est de nature à créer un risque d’autorévision ou un autre risque sur l’indépendance pour le CAC.
Différents cas ont ainsi été envisagés, selon la taille de l'entité (EIP ou non-EIP) et si le CAC ou un membre de son réseau certifie ou non les comptes de l'entité pour laquelle l'ECF est réalisé. Voici ses conclusions.
Le CAC (ou son réseau) peut-il réaliser un ECF pour une entité non-EIP dont il certifie les comptes ?
Services et prestations concomitants à la mission de certification légale des comptes d'une entité non-EIP
Il est interdit au commissaire aux comptes d'accepter ou de poursuivre une mission de certification auprès d'une personne ou d'une entité qui n'est pas une entité d'intérêt public (donc une entité « non-EIP ») lorsqu'il existe un risque d'autorévision ou que son indépendance est compromise et que des mesures de sauvegarde appropriées ne peuvent être mises en œuvre (c. com. art. L. 822-11, III).
Le CAC sollicité pour fournir des services et attestations concomitamment à une mission de contrôle légal dans une entité non-EIP doit continuer à appliquer les trois principes de la directive européenne que sont l'indépendance, l'absence d'autorévision et l'absence d'immixtion dans la gestion de l'entité contrôlée et doit mettre en œuvre une approche risques/sauvegarde (UE, directive 2006/43/CE, art. 22).
Tous les services inclus dans l'ECF (le contenu de l'examen de conformité fiscale, ainsi que le chemin d’audit, le cahier des charges, et les modèles de compte-rendu et de contrat) doivent donc, selon la CEP, faire l’objet d'une analyse, afin de déterminer si l’indépendance du commissaire aux comptes serait compromise par la fourniture d’un ECF à l’entité non-EIP dont il certifie les comptes (risque d'autorévision ou autres risques ; voir ci-avant). Pour mener cette analyse, il faut répondre aux deux questions suivantes.
En concluant sur la conformité de certains services, le CAC de l’entité non-EIP risque t-il de contribuer à la définition du processus d’estimation, se plaçant ainsi en situation d’autorévision ?
En termes de risque pour l’indépendance du CAC, sur les 10 points de contrôle prévus par le cahier des charges de la prestation d'examen de conformité fiscale, 4 points nécessitent de porter une appréciation sur des estimations comptables par le CAC (arrêté du 13 janvier 2021 précité).
Il doit, ainsi, apprécier :
-les règles de détermination des amortissements et leur traitement fiscal (point 6 de l'ECF) ;
-les règles de détermination des provisions et leur traitement fiscal (point 7) ;
-les règles de détermination des charges à payer et leur traitement fiscal (point 8) ;
-la qualification et la déductibilité des charges exceptionnelles (point 9).
Ces points impliquent une part plus ou moins importante d’incertitude et de jugement.
La CEP estime que le fait de porter une appréciation sur des estimations s’inscrit dans les diligences habituelles du CAC (NEP 540, « Appréciation des estimations comptables », août 2021) et n’est pas de nature à le placer en situation d’autorévision.
Lorsque le CAC invite l’entité auditée à corriger sa comptabilité ou ses déclarations fiscales, se place-t-il en situation d’autorévision ?
Selon la Commission, le fait d’inviter l’entreprise à corriger sa comptabilité ou ses déclarations fiscales entre dans les diligences habituelles du commissaire aux comptes et n’est pas de nature à le placer en situation d’autorévision.
En effet, elle relève que, dans le cadre de sa mission de certification des comptes, le CAC doit également communiquer à la direction de l'entité auditée les anomalies qu'il a relevées (autres que celles qui sont manifestement insignifiantes) et demander à la direction de corriger ces anomalies (NEP 450 « Évaluation des anomalies relevées au cours de l'audit », mai 2018).
Conclusions de la Commission d'éthique professionnelle
Compte tenu des réponses apportées aux deux questions ci-avant, il ressort de l'analyse de la CEP que l'ECF ne crée pas de risque d’autorévision ou de risque pour l’indépendance du commissaire aux comptes, s’il est réalisé par celui-ci pour l’entité (non-EIP) dont il certifie les comptes.
Il en est de même si l'examen de conformité fiscale est réalisé par le réseau du commissaire aux comptes de l’entité non-EIP.
Le CAC (ou son réseau) peut-il réaliser un ECF pour une entité EIP dont il certifie les comptes ?
Services interdits auprès des EIP et de toute la chaîne de contrôle
Il est interdit au commissaire aux comptes et aux membres du réseau auquel il appartient de fournir directement ou indirectement à l'entité d'intérêt public (EIP) dont il certifie les comptes, et aux personnes ou entités qui la contrôlent ou qui sont contrôlées par elle au sens des I et II de l'article L. 233-3 et dont le siège social est situé dans l'Union européenne, les services mentionnés au paragraphe 1 de l'article 5 du règlement UE 537/2014 du 16 avril 2014 (c. com. art. L. 822-11, II).
Les services inclus dans l'ECF ne doivent entrer dans aucune des catégories, au cas particulier, de services fiscaux interdits par le paragraphe 1 de l'article 5 du règlement UE 537/2014.
Services fiscaux interdits aux commissaires aux comptes et aux membres de leur réseau dans les EIP
Les services fiscaux interdits portent sur (UE, règlt 537/2014 du 16 avril 2014, art. 5.1) :
-l'établissement des déclarations fiscales* ;
-l'impôt sur les salaires ;
-les droits de douane ;
-l'identification des subventions publiques et des incitations fiscales, à moins qu'une assistance de la part du contrôleur légal des comptes ou du cabinet d'audit pour la fourniture de ces services ne soit requise par la loi* ;
-l'assistance lors de contrôles fiscaux menés par les autorités fiscales, à moins qu'une assistance de la part du contrôleur légal des comptes ou du cabinet d'audit lors de ces contrôles ne soit requise par la loi* ;
-le calcul de l'impôt direct et indirect ainsi que de l'impôt différé* ;
-la fourniture de conseils fiscaux*.
*Dérogation : lorsqu’un membre du réseau auquel il appartient est établi dans un État membre de l'UE et fournit à une personne ou une entité qui contrôle ou qui est contrôlée par l’EIP, et dont le siège social est situé dans l’UE, ces services dans un État membre qui les autorise, le CAC analyse les risques pesant sur son indépendance et applique les mesures de sauvegarde appropriées (c. com. art. L. 822-11, II ; voir RF Comptable 489, janvier 2021, « Annexe : liste des services « interdits » aux CAC des EIP (règlement européen) »).
Analyse des services inclus dans l'ECF pour s'assurer qu'ils n'entrent pas dans la catégorie des services interdits
Selon la Commission, l'examen de conformité fiscale :
-ne consiste pas à assister l’entité auditée mais à effectuer certaines vérifications prévues par arrêté (arrêté du 13 janvier 2021 précité) ;
-n’est pas effectué lors d’un contrôle fiscal.
Conclusions de la Commission d'éthique professionnelle
La Commission estime, par conséquent, que l'ECF ne crée pas de risque d’autorévision ou de risque pour l’indépendance du commissaire aux comptes d’une entité EIP, s’il est réalisé par celui-ci pour l’entité dont il certifie les comptes.
Il en est de même si l'ECF est réalisé par le réseau du commissaire aux comptes.
Attention
Il demeure nécessaire de s’assurer que l'examen de conformité fiscale ne déroge pas aux obligations prévues par le code de déontologie.
Un CAC, ou son réseau, peut-il réaliser un ECF pour une entité dont il ne certifie pas les comptes ?
Des dispositions communes avec la certification légale
Les dispositions communes du code de déontologie, applicables aux commissaires aux comptes dans l’exercice de leur activité professionnelle, s’appliquent à tout commissaire aux comptes, quelle que soit la mission ou la prestation qu’il fournit (c. déont, titre 1, Dispositions communes applicables aux commissaires aux comptes dans l’exercice de leur activité professionnelle).
Prestation qui continue à produire ses effets
Si le commissaire aux comptes (ou un membre de son réseau) a réalisé pour l’entité une prestation qui continue à produire ses effets, il doit analyser si cette prestation n’est pas de nature à créer un risque d’autorévision ou de perte d’indépendance dans l’exercice de la mission d’examen de conformité fiscale qu’il souhaite rendre à cette entité.
Si un tel risque existe, il devra prendre les mesures de sauvegarde appropriées permettant de réduire ce risque à un niveau suffisamment faible pour que son indépendance ne soit pas compromise.
Le commissaire aux comptes ou son réseau a contribué à définir les règles de détermination des amortissements ou d’autres éléments soumis à vérification dans le cadre d’un examen de conformité fiscale.
Conclusion de la Commission d'éthique professionnelle
Sous réserve d’avoir réalisé cette analyse, la Commission est d’avis qu’un commissaire aux comptes peut réaliser une prestation d'examen de conformité fiscale pour une entité dont il ne certifie pas les comptes.
Point d'attention : le secret professionnel
Le cahier des charges de l'examen de conformité fiscale stipule que le prestataire tient à la disposition de l’administration tous les documents et pièces de toute nature nécessaires à l’ECF.
Toutefois, la CNCC attire l’attention des commissaires aux comptes sur le fait qu’une telle communication constituerait une violation du secret professionnel du CAC (c. com. art. L. 822-15).
Par conséquent, elle précise que le commissaire aux comptes devra opposer son secret professionnel à l’administration fiscale qui lui demanderait la communication de documents et pièces relatifs à l’ECF.
Parmi les services inclus dans l'examen de conformité fiscal (ECF), certains nécessitent de porter une appréciation sur des estimations comptables qui ne sont, toutefois, pas de nature à placer le CAC en situation d'autorévision.
Inviter l’entreprise à corriger sa comptabilité ou ses déclarations fiscales, lors d'un ECF, entre dans les diligences habituelles du CAC.
L'ECF n'entre pas dans la catégorie des prestations interdites d' « assistance lors de contrôles fiscaux menés par les autorités fiscales » fournies par le CAC (ou son réseau) à une entité EIP dont il certifie les comptes.
Sous réserve de contrôler l'absence de risques d'autorévision et de perte d'indépendance, le CAC peut réaliser un ECF pour une entité dont il ne certifie pas les comptes.
Le CAC est tenu au secret professionnel s'agissant des documents et pièces relatifs à l'ECF que pourrait réclamer l'administration fiscale.