Covid-19 : l'ANC recommande une information comptable intermédiaire en 2020
L'Autorité des normes comptables (ANC) a présenté des recommandations en normes françaises et des observations en référentiel IFRS, pour la prise en compte de l'événement Covid-19 dans les comptes annuels et consolidés ainsi que dans les situations établies à compter du 1er janvier 2020.
Bien que peu d’entités aient des obligations d’établissement de comptes intermédiaires, dans ce contexte particulier, l'ANC recommande notamment aux entreprises d’établir à titre volontaire des comptes ou situations intermédiaires leur permettant de mesurer de façon raisonnable les impacts de l’événement Covid-19, sans attendre la clôture annuelle.
À cette occasion, Patrick de Cambourg, président de l'ANC, a bien voulu répondre à nos questions. Son interview est à lire à la fin de notre article.
Nouvelle publication de l'Autorité des normes comptables
Un contexte de crise économique sans précédent
La situation de pandémie liée au Covid-19 a été reconnue par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) le 11 mars dernier.
Face à l'ampleur de ses conséquences pour les entreprises françaises, l'ANC a souhaité les assister dans la prise en compte de cet événement dans leurs comptes afin de les aider à s’inscrire de façon opérationnelle et pragmatique dans une perspective de rebond.
Le Collège de l’ANC avait communiqué dès le 2 avril dernier sur les conséquences de l’épidémie de Covid-19 sur les comptes clos au 31 décembre 2019 (ANC, « Conséquences sur les comptes annuels et consolidés établis selon le référentiel comptable français au 31 décembre 2019 », 2 avril 2020 ; voir RF Comptable 481, avril 2020, « Impacts de la crise sur les comptes et sur leur contrôle »).
La nouvelle publication du normalisateur français en date du 18 mai dernier est le fruit des travaux d'un groupe de travail à l’ANC dont la composition est décrite par Patrick de Cambourg dans son interview ci-après (ANC, « Recommandations et observations relatives à la prise en compte des conséquences de l’événement Covid-19 dans les comptes et situations établis à compter du 1er janvier 2020 », 18 mai 2020). Il s'est attaché à répondre, d'une part sur le moment opportun pour présenter une information pertinente sur l’événement Covid-19 (voir ci-après et ce numéro, « Covid-19 : une information spécifique de l'annexe 2020 »), et d'autre part sur les questions comptables soulevées par cet événement, et notamment sur la reconnaissance des actifs, des passifs, des charges et des produits (voir ce numéro, « Traitement des mesures de soutien aux entreprises » ; « Impacts du Covid-19 sur les bilans 2020 » ; « Impacts du Covid-19 sur les comptes de résultat 2020 »).
À suivre
Le document de l'ANC est un « document vivant » avec de nouvelles questions, les précisions et les recommandations liées, ainsi que des versions sectorielles (notamment pour les établissements de crédit, les compagnies d’assurances, les gestionnaires d’actifs ou le secteur non lucratif) qui seraient attendues dès le mois juillet.
Un double objectif de gestion et d'information
L’ANC considère que l’ampleur de la crise justifie que chaque entreprise soit à même :
-de bien mesurer les conséquences de l’événement Covid-19 sur sa performance 2020 et sur sa situation financière, afin notamment de distinguer ses effets ponctuels des fondamentaux de l’activité et de fonder de manière rigoureuse les dispositions à prendre pour surmonter les difficultés rencontrées (objectif de gestion) ;
-de disposer d’un outil de communication permettant d’échanger de façon objective, réaliste et pertinente avec l’ensemble de ses parties prenantes (objectif d’information), tant à l’occasion des comptes et situations intermédiaires requis par la réglementation que pour des situations intermédiaires préparées volontairement.
Pour répondre à ce double objectif, le document de l'ANC est constitué de deux parties :
-une partie 1 « Quand et comment présenter une information pertinente sur l’événement Covid-19 ? », composée de 11 questions ;
-une partie 2 « Quelles sont les conséquences de l’événement Covid-19 sur la reconnaissance des actifs, passifs, charges et produits », composée de 29 questions.
De plus, l'ANC a présenté à la fois un document détaillé (lecture approfondie) avec les analyses sous-jacentes et un document de synthèse (lecture rapide) sous forme de questions-réponses.
Ces recommandations et observations visent les comptes annuels, consolidés et intermédiaires dont l’arrêté est requis par la réglementation, tout comme les situations intermédiaires préparées volontairement. Les dispositions spécifiques aux situations intermédiaires obligatoires continuent de s’appliquer par ailleurs.
Enfin, les recommandations de l'ANC ne font pas novation par rapport aux normes existantes et n'ont pas valeur obligatoire au-delà des textes légaux et réglementaires existants, elles constituent un guide d’application infra-réglementaire.
Informer sur l'impact du Covid-19 sans attendre
Calendrier annuel non approprié
Dès lors qu'elle est préparée dans des délais rapides et peut être partagée dans les mêmes délais, une information comptable pertinente sur les impacts de la crise est un élément clé à la fois d’une bonne gestion et d’une bonne information des destinataires des états financiers.
Le calendrier annuel est le moment à l’occasion duquel une information pertinente peut être donnée, dans le cas des comptes annuels et le cas échéant consolidés dont l’établissement est obligatoire, cependant il ne permet pas de répondre pleinement aux nécessités d’une information comptable rapide, appropriée aux circonstances de la crise actuelle.
Comptes semestriels dont l’établissement est obligatoire
S'agissant des entités pour lesquelles l’établissement de comptes semestriels est obligatoire, le calendrier conduit à préparer et à communiquer une information comptable pertinente de façon appropriée :
-les entités dont l'exercice social coïncide avec l'année civile publieront leurs comptes semestriels d’ici le 30 septembre au plus tard ;
-les autres publieront des comptes pour l’exercice social et/ou le semestre d’ici le 30 septembre au plus tard également.
Comptes et situations intermédiaires dont l’établissement est facultatif
L’ANC a donc examiné la question d’une information comptable intermédiaire pour garantir la célérité de l'information comptable des entités pour lesquelles l’obligation d’établir des comptes est uniquement annuelle. En effet, peu d’entités ont des obligations d’établissement de comptes intermédiaires, ce qui implique que :
-hormis les entités dont l’exercice social se termine au cours du premier trimestre de l’année civile, aucune information comptable à caractère obligatoire ne sera disponible pour le 30 septembre 2020, avec une prise en compte limitée des effets de l'événement Covid-19 ;
-les autres entités, par exemple celles dont l’exercice social coïncide avec l’année civile, communiqueront leur information comptable obligatoire en seconde partie de premier semestre 2021.
Par conséquent, l'ANC recommande à ces entités d’établir à titre volontaire des comptes et situations intermédiaires leur permettant (ANC, rec. A1) :
-de mesurer de façon raisonnable les impacts du Covid-19 ;
-de prendre en compte les mesures de soutien dont elles ont pû bénéficier ;
-et de présenter leur performance et leur situation financière, à une date choisie par elle.
La mise en œuvre de cette recommandation et le choix de la date de référence à retenir est une question de jugement qui appartient aux organes responsables de l’administration de l’entité.
L’ANC considère que, pour être pertinent et utile, la date de référence à retenir peut être fondée sur le moment où l’entité a une visibilité raisonnable sur ses conditions d’activité future et où elle estime que la période d’effet majeur de cette crise a pris fin. Dans ce contexte, une date de référence au cours du troisième trimestre 2020 pourrait être retenue dans de nombreux cas.
La célérité de l’information comptable est essentielle et constitue une contribution nécessaire au rebond économique général souhaité.
Les entités dont l’établissement de comptes semestriels est obligatoire publieront une information comptable pertinente sur l'impact de la crise d’ici le 30 septembre au plus tard.
Le 3e trimestre 2020 peut être une date cible pour une information comptable intermédiaire des entités pour lesquelles l’obligation d’établir des comptes est uniquement annuelle.
Interview de Patrick de Cambourg, Président de l’Autorité des normes comptables (ANC)
Monsieur de Cambourg, la publication de l'ANC dans ses recommandations et observations du 18 mai 2020 s’inspire des meilleures pratiques observées. Pouvez-vous nous indiquer comment l'ANC a procédé pour recueillir et exploiter ces premiers retours terrain ?
S’agissant d’un événement encore très récent, les meilleures pratiques ne sont pas encore connues.
Dans la tradition de la normalisation comptable française, nous avons associé l’ensemble des parties prenantes à l’élaboration de ce document. Le temps de la normalisation comptable est souvent long mais, pour ce projet, nous avons cherché à faire preuve de réactivité sans pour autant limiter les débats. J’ai confié à Lise Chorques (Directrice d’Actéo) et Hubert Tondeur (Président du Conseil régional de l’Ordre de Lille Nord-Pas-de-Calais) la présidence d’un groupe de travail réunissant les membres de la Commission des normes privées et du Forum d’application des normes comptables internationales (FANCI). Étaient alors représentées les entreprises, la profession comptable et les autorités de régulation que sont l’AMF et l’ACPR.
Ce groupe de travail nous a permis d’identifier les principales questions sur les conséquences de cet événement que se posent les entreprises françaises et d’apporter des réponses à ces questions sous la forme de recommandations en normes comptables françaises et d’observations en normes comptables internationales.
Les recommandations de l'ANC ne s’accompagnent pas d’obligations nouvelles. Pouvez-vous nous préciser la portée de ces recommandations ?
Oui, effectivement, c’est important de le souligner. Le temps n’est pas à la « sur-normalisation ». Bien au contraire, il faut aider les entreprises à passer le cap difficile de cet événement sans ajouter de règles nouvelles. Nous avons donc formulé des réponses à des questions fréquemment posées qui, je l’espère, devraient aider les préparateurs des comptes et la profession comptable à accomplir leur tâche à la fois pour les comptes annuels et les situations intermédiaires.
Nous formulons des recommandations, notamment sur l’information à fournir dans l’annexe, sur l’établissement de situations intermédiaires et nous rappelons les règles qui s’appliquent à la reconnaissance et à l’évaluation des actifs, passifs, charges et produits.
Dans la plupart des cas, nos réponses sont l’application des règles existantes aux conséquences de cet événement en tenant compte du contexte d’incertitude actuelle.
Cette nouvelle publication traite des questions qui se posent tant pour l’application du référentiel IFRS que pour celle des normes françaises. Pourquoi un choix de traitement des deux référentiels ?
Comme vous le savez, l'ANC est compétente pour établir les normes comptables françaises et pour contribuer à l’élaboration des normes comptables internationales. À ce titre, nous avons montré par le passé notre capacité à réunir de façon collégiale les positions de l’ensemble des parties prenantes françaises. Par ailleurs, en 2017, nous avons créé un groupe permanent, le FANCI, qui prépare les travaux de l’IFRIC-IC (comité d’interprétation des nomes IFRS) et examine les questions d’application des normes.
L’expertise de ce groupe a permis de proposer des réponses aux questions que soulève cet événement.
Pour les plus grandes entités qui établissent des comptes consolidés suivant le référentiel international, la lecture d’une réponse en normes françaises et internationales leur permet de mesurer aisément les divergences qui existent entre les deux référentiels et donc de prévoir les retraitements qui s’imposent lors du passage des comptes sociaux aux comptes consolidés.
Le calendrier annuel ne permettant pas de répondre pleinement aux nécessités d’une information comptable rapide, appropriée aux circonstances de la crise actuelle, une date de référence au cours du 3e trimestre 2020 pourrait être retenue dans de nombreux cas afin d'informer sur les conséquences du Covid-19. Pouvez-vous nous en dire plus sur l’importance et les modalités de mise en œuvre de cette recommandation ?
Effectivement, compte tenu de la survenance de cette crise au cours du premier trimestre, les entités clôturant leurs comptes au 31 décembre ne communiqueront pas avant le deuxième trimestre 2021 sur les conséquences de cet événement.
Cela nous est apparu trop long d’autant que j’ai la conviction que le rebond économique sera plus rapide s’il est accompagné de transparence. Aujourd’hui, on évalue les conséquences macroéconomiques de la crise, d’abord sur l’économie française dans son ensemble, à présent les effets sont estimés à un niveau sectoriel, bientôt il nous faudra mesurer ces conséquences au plus près du tissu économique, c’est-à-dire au niveau de l’entreprise. Le dirigeant aura besoin d’une information comptable fiable pour dialoguer sur des bases rationnelles avec ses parties prenantes (financeurs, fournisseurs, clients, salariés, etc.), et comme vous le savez, en France, nous considérons la comptabilité comme un outil de gestion. Le dirigeant s’appuie sur la comptabilité pour prendre ses décisions. Plus que jamais, il aura besoin d’informations cohérentes, pertinentes et dépourvues de biais pour prendre les bonnes décisions et participer au rebond économique.
C’est pour cette raison que nous recommandons aux entreprises d’établir une situation intermédiaire à une date choisie par elle. Vous citez le 3e trimestre de l’année 2020, cela me paraît une cible intéressante, mais je crois que cette question doit se régler au cas par cas. Et encore une fois, nous ne créons pas une règle spécifique, il s'agit simplement d’une recommandation.