Gestion
Quelques difficultés pratiques liées au choix des investissements
L'investissement constitue probablement l'une des décisions financières les plus délicates. En effet, l'évaluation de la rentabilité économique d'un investissement est souvent difficile du fait des nombreuses variables utilisées. Par ailleurs, une erreur en matière d'investissement est souvent lourde de conséquences pour l'entreprise et peut mettre en péril sa pérennité.
Les difficultés pratiques les plus courantes
Tous ces facteurs militent pour une méthodologie rigoureuse dans le choix des investissements. En amont, il convient de s'assurer que les projets s'inscrivent dans la stratégie de développement de l'entreprise. En aval, une procédure de vérification, a posteriori, des critères de rentabilité est indispensable afin d'améliorer le processus de choix des futurs projets.
S'agissant de l'évaluation économique des projets d'investissement à proprement parler, plusieurs critères de sélection peuvent être utilisés.
Tous reposent sur une approche similaire :
- évaluation des flux de trésorerie (positifs et négatifs) générés par l'investissement,
- actualisation de ces flux afin de prendre en compte l'échéancier des encaissements et décaissements,
- comparaison de ces flux actualisés avec la mise de fonds initiale.
Les méthodes diffèrent ensuite selon que l'on cherche à mesurer :
- le délai de récupération de la mise de fonds initiale (« pay back period »),
- la richesse créée par le projet (VAN),
- le taux de rentabilité du projet (TRI ou IRR).
Plusieurs variantes de ces méthodes de base peuvent également être utilisées.
En pratique, la mise en oeuvre de ces techniques se heurte généralement à quatre types de difficultés :
-1/ Difficultés liées à la détermination exhaustive du coût du projet.
-2/ Difficultés liées à l'évaluation des flux futurs (cas, en particulier, des projets informatiques).
-3/ Difficultés en cas de discordance de résultat selon le critère utilisé.
-4/ Difficultés pour isoler les bénéfices du projet de l'activité existante.
La détermination exhaustive du coût du projet
Il est rare, en pratique, qu'un projet d'investissement se limite à l'achat d'une seule immobilisation. Plus fréquemment, il s'agira de dépenses de natures variables, la proportion des éléments corporels au sein du projet global pouvant même être assez marginale. Il convient donc de recenser de la façon la plus complète possible tous ces coûts, sans oublier :
- les coûts accessoires d'achat des matériels,
- les coûts de formation,
- le BFR additionnel en cas d'investissement de capacité ou de lancement d'un produit nouveau.
Il convient de préciser, à ce stade, que la notion d'investissement visée ici est différente de la notion comptable d'immobilisation, limitée au montant susceptible d'être activé, lequel est défini de manière restrictive par les textes comptables.
Une difficulté supplémentaire surgit lorsque l'installation du nouvel investissement entraîne l'arrêt ou le ralentissement des activités existantes ; cet élément doit également être chiffré dans le coût du projet.
Par ailleurs, certains investissements impliquent des réorganisations qui occasionnent une charge pour l'entreprise (indemnités de départ, par exemple) dont il convient de tenir compte pour déterminer le coût complet du projet.
Savoir évaluer les bénéfices futurs
L'incertitude liée aux prévisions
Il s'agit probablement de la difficulté majeure lors du calcul de la rentabilité d'un investissement.
Rappelons, au préalable, qu'il convient de raisonner en termes de flux de trésorerie, et non en termes de résultat comptable.
L'évaluation des flux futurs comporte l'incertitude habituelle liée à toute prévision. Cette difficulté est d'autant plus forte qu'il s'agit d'un produit ou d'un process nouveau pour lequel l'entreprise n'a pas, par définition, d'expérience.
En pratique, on procédera assez souvent à des analyses de sensibilité permettant de mesurer l'impact de la variation des hypothèses les plus significatives sur le résultat final ; ainsi, on pourra construire 3 scénarios : optimiste, pessimiste et médian.
S'agissant des projets informatiques, mesurer économiquement la rentabilité d'un tel investissement est particulièrement délicat et ce, pour plusieurs raisons :
- les bénéfices attendus sont difficiles à quantifier (il s'agit généralement de réduire les coûts, améliorer la qualité, fiabiliser ou rationaliser certains process tels que les tâches administratives...). Le chiffrage de ces actions est d'autant plus délicat que les projets informatiques ont souvent une incidence sur le fonctionnement et la rentabilité d'ensemble de l'entreprise et sont rarement circonscrits à un domaine applicatif ciblé ;
- l'identification exhaustive des coûts d'un projet informatique est également difficile ; c'est le cas, en particulier, lorsqu'il s'agit de chiffrer l'impact de la perte de productivité (ou de chiffre d'affaires) due à l'implantation du nouveau système ;
- par ailleurs, il convient de faire intervenir dans le raisonnement les conséquences du non-investissement, en particulier en termes de perte de compétitivité de l'entreprise par rapport aux concurrents.
Toutes ces raisons expliquent la difficulté de mesurer selon les critères économiques traditionnels la rentabilité de ce type de projet. Cet effort de chiffrage doit néanmoins être entrepris car il permet, outre l'aspect économique, de se poser les questions de fond essentielles quant à cette décision d'investissement.
Le risque lié aux prévisions peut être pris en compte au niveau des flux futurs (en particulier par les analyses de sensibilité évoquées plus haut), mais également à travers le taux d'actualisation retenu (voir plus loin).
L'incertitude liée à l'horizon retenu
Déterminer le nombre d'années de flux à prendre en compte peut également être source de difficultés.
Plus la période retenue sera longue, plus la probabilité d'établir la rentabilité du projet sera élevée. Il convient toutefois de préciser que le mécanisme de l'actualisation a pour conséquence de pondérer davantage les flux proches dans le temps, alors que les flux éloignés pèseront moins dans le résultat final.
Par ailleurs, le profil des flux sur la période de calcul a également son importance : ainsi, un scénario faisant apparaître des flux faibles (ou même négatifs) en début de période et des flux importants en fin de période devra faire l'objet d'une analyse approfondie.
Généralement, s'agissant d'un investissement matériel simple, l'horizon couvrira la durée de vie physique de l'immobilisation acquise. Dans des cas plus complexes, il conviendra de prévoir le renouvellement de certains matériels (ou parties de matériels).
L'incertitude liée au choix du taux d'actualisation
Une pondération nécessaire - Les flux futurs intervenant sur des périodes différentes, il est nécessaire, préalablement à leur agrégation, de les actualiser. Les flux seront donc pondérés par le facteur temps, déterminant en finance.
L'incidence du taux retenu sur le résultat final est souvent significative.
En pratique, on utilisera le coût du capital (WACC dans la terminologie anglo-saxonne), qui est le coût moyen pondéré de l'ensemble des capitaux mis à la disposition de l'entreprise par ses actionnaires et par ses prêteurs. Autrement dit, c'est le taux de rentabilité minimum exigé par les pourvoyeurs de fonds (actionnaires et prêteurs) pour financer les projets de l'entreprise.
Seuls les projets qui accroissent la valeur de l'entreprise (qui ont donc une valeur actuelle nette positive) seront retenus ; en d'autres termes, la rentabilité du projet doit être supérieure ou égale au coût du capital.
La pondération - Le coût du capital est la moyenne pondérée du coût des capitaux propres (kcp) et de l'endettement après IS (kd) :
coût du capital = kd X D/(D + CP) + kcp X CP/(D + CP)
avec D = montant des dettes financières
et CP = montant des capitaux propres.
Une entreprise a une structure financière composée de 1/3 de dettes et 2/3 de capitaux propres.
Le coût de l'endettement est de 6 % avant IS et celui des capitaux propres de 17 % (voir les développements ci-après). Le coût du capital de cette entreprise (en supposant que le taux d'IS soit de 33 %) sera égal à :
6 % (1 - 33 %) X 1/3 + 17 % X 2/3, soit 12,7 %.
Le coût des capitaux propres dépend du degré d'exigence des actionnaires (en termes de dividendes ou en termes d'augmentation de valeur de leurs titres). Plus le risque financier est fort, plus la prime de risque exigée est haute et plus le coût des capitaux propres sera élevé.
Plusieurs méthodes permettent de calculer le coût des capitaux propres ; citons l'approche par les dividendes (Méthode de Gordon Shapiro) ainsi que la méthode MEDAF (Modèle d'équilibre des actifs financiers, en anglais Capital Asset Pricing Model, ou CAPM).
Dans l'approche du MEDAF, le coût des capitaux propres est égal au taux sans risque majoré d'une prime de risque. Cette dernière est évaluée en retenant le différentiel de taux entre un placement risqué (de type « actions ») par rapport à un placement non risqué (de type « obligations ») et en l'affectant d'un coefficient (intitulé « beta »). Le coefficient « beta » représente le risque du secteur et de l'entreprise considérée ; mathématiquement, il se mesure par la dispersion de la rentabilité de l'entreprise autour de la rentabilité moyenne.
Taux sans risque (par exemple, taux d'intérêt des obligations d'État) : 5 %
Rentabilité espérée du marché : 15 %
« Beta » = 1,2
Prime de risque = 15 % - 5 % = 10 %
Coût des capitaux propres =
5 % + (10 % X 1,2) = 17 %.
Le risque - Il convient d'être vigilant sur le taux retenu ; en effet, si l'investissement projeté est similaire, en termes de risque, aux activités actuelles de l'entreprise, il sera possible de retenir le coût du capital de l'entreprise prise dans son ensemble ; dans le cas inverse, il conviendra d'ajuster le coût du capital afin d'intégrer le différentiel (positif ou négatif) de risque.
Savoir décider en cas de discordance de résultat
Les trois méthodes les plus fréquemment utilisées en pratique sont :
-> la VAN (valeur nette actualisée), égale à la différence entre la somme des flux de trésorerie générés par le projet (actualisés au coût du capital) et le flux d'investissement initial, mesure l'augmentation des flux de trésorerie induite par l'investissement (sur le choix du taux d'actualisation, voir ci-avant) ;
-> le TRI (taux de rentabilité interne), égal au taux d'actualisation qui annule la VAN, mesure le taux de rentabilité du projet. S'agissant de projets d'investissement non mutuellement exclusifs sans contrainte de ressources, il faut réaliser tous ceux dont le TRI est supérieur au coût des ressources. Mais le TRI ne permet pas de conclure définitivement quant à la comparaison de plusieurs projets mutuellement exclusifs ;
-> le pay back (délai de récupération), nombre de périodes nécessaires à la récupération des fonds, est simple, mais ne prend pas en compte les flux postérieurs à la date de récupération.
Que faire en cas de discordance des résultats obtenus ? - Il se peut que les résultats obtenus en appliquant ces méthodes à des projets concurrents soient discordants, notamment lorsque les flux changent plusieurs fois de sens durant la vie du projet ou lorsque les profils des flux de deux projets concurrents sont très différents.
La décision doit alors s'appuyer sur une méthode alternative :
- le pay back peut départager les résultats contradictoires obtenus par la VAN et le TRI ;
- un TRI global peut être calculé à partir d'une VAN globale, en supposant que les flux de trésorerie du projet sont réinvestis, non au coût des ressources exigé par les investisseurs, mais à un taux inférieur, plus réaliste.
(en K€)
Inves-
tissement
Flux période 1
Flux période 2
Flux période 3
Flux période 4
Projet A
- 100
50
50
50
50
Projet B
- 150
10
10
280
20
La VAN (au taux de 10 %) est de 58 K€ pour le projet A et de 91 K€ pour le projet B ; en revanche, le TRI du projet B (29 %) est inférieur à celui du projet A (35 %). Il y a donc discordance de résultat selon le critère retenu.
Dans ce cas, la décision devra s'appuyer soit sur le pay back, soit sur le calcul d'une VAN globale et d'un TRI global. La VAN globale est déterminée en supposant que les flux de trésorerie du projet sont réinvestis, non au taux de 10 % exigé par les investisseurs, mais à un taux moins exigeant et plus réaliste (4 %, dans cet exemple).
Ces deux critères fournissent des résultats concordants.
VAN globale
(taux de réinvestissement de 4 %)
TRI global
Projet A
45 K€
20,7 %
Projet B
78 K€
22,1 %
En l'occurrence, il s'avère que le projet B présente une meilleure rentabilité, quel que soit le critère retenu (VAN globale et TRI global).
Savoir isoler les bénéfices du projet de l'activité existante
La décision d'investir doit se fonder sur la rentabilité propre du projet. La détermination de celle-ci peut être délicate lorsque l'activité nouvelle a des incidences, en termes de revenu ou de coût, sur l'activité existante.
Par exemple, le remplacement d'un produit par une nouvelle génération va impacter les ventes de l'ancien produit (phénomène dit de « cannibalisation »). Il convient donc de comparer les deux situations suivantes :
-1/ quelles auraient été les ventes sans décision d'investir ?
-2/ quelles seront les ventes après décision d'investir ?
Autrement dit, que serait-il advenu des ventes de l'ancien produit ? Si elles sont de toute façon perdues, il convient de les ignorer dans le raisonnement ; sinon, il faut les prendre en compte.