Fiscal
Vérification de comptabilité : l'obligation de présentation sous forme de fichiers
Depuis 2006, l'administration fiscale ne cesse d'inciter le législateur à adapter et renforcer l'arsenal légal et réglementaire mis à sa disposition pour contrôler les comptabilités informatisées. La loi de finances rectificative (LFR) pour 2012 ne déroge pas à cette tendance, avec, notamment, la nouvelle obligation, à partir de 2014, de transmettre des écritures comptables sous forme de fichiers informatiques à la demande des vérificateurs. Les entreprises et leurs conseils doivent anticiper cette contrainte et s'y préparer dès maintenant : pour ce faire, nous leur indiquons le contenu minimal requis pour ces fichiers et traçons le contour des traitements que peuvent effectuer les inspecteurs sur les données qu'ils contiennent.
Par Marc Lamort de Gail, expert comptable, associé Incivo
L'obligation de présenter la comptabilité : le cadre
Dès lors que la comptabilité a été établie grâce à un système informatique, elle doit être conservée et présentée aux agents de l'administration sur support informatique (CGI art. 54 et LPF, art. L. 102 B ; voir le Dictionnaire Comptable et financier, rubrique « Comptabilité informatisée » et RF Comptable 387, octobre 2011, dossier « Se préparer à un contrôle informatisé »).
Sont concernées les entreprises industrielles et commerciales relevant d'un régime réel d'imposition.
Ainsi, le livre-journal peut être présenté sous forme d'un fichier image (format pdf ou print), ce qui s'avère difficile lorsque le volume des écritures est important (du fait des limitations du format pdf).
Cependant, dans sa forme actuelle, l'article L 47 A-1 du livre des procédures fiscales offre au contribuable la faculté de remettre un tel fichier, dans un format défini (ASCII) permettant son import et/ou sa lecture par des logiciels d'analyse de données. Ces fichiers peuvent être remis sur des supports variés (CD-Rom, clé USB, disque dur externe).
De plus, depuis 2010, les grandes entreprises peuvent déposer l'ensemble des écritures retracées dans les journaux, numérotées par ordre chronologique de saisie, sous forme d'un fichier unique, sur le site dédié de la DVNI, Altoweb.
Les données communiquées sont stockées et exploitées sur un serveur central auquel les entreprises et les vérificateurs accèdent au moyen d'une interface web.
En promouvant la remise de fichiers des écritures comptables, l'administration cherche à faciliter la phase de prise de connaissance de la comptabilité préalable ou initiant le contrôle fiscal.
Les vérificateurs peuvent pratiquer des contrôles de cohérence entre les déclarations souscrites et la comptabilité présentée. Ils peuvent alors réaliser des tris, des classements et des calculs. Ils sont ainsi mieux à même de cibler leurs demandes de traitement dans le cadre d'un contrôle fiscal de comptabilité informatisée.
La nouveauté de la LFR 2012
L'article 14 de la LFR 2012 impose la remise d'une copie des fichiers des écritures comptables sous forme dématérialisée pour la présentation de la comptabilité (CGI, LPF, art. L 47 A modifié).
Cette obligation concerne toutes les entreprises tenant leur comptabilité au moyen d'un logiciel comptable, quels que soient leur activité ou leur régime d'imposition, à l'exception des entreprises agricoles relevant du régime forfaitaire.
Le délai maximal de 3 mois encadrant les vérifications des petites entreprises (CGI, LPF, art. L. 52) ne démarrera qu'à compter de la remise des fichiers des écritures.
Le défaut de présentation des documents comptables sous format dématérialisé sera sanctionné par une amende minimale de 1 500 € par exercice ou par année soumis à contrôle.
Ce montant pourra être porté, en cas de manquements graves, à 5 ‰ du chiffre d'affaires ou du montant des recettes brutes déclarés ou rehaussés (selon le cas), par exercice ou année soumis à contrôle (CGI art. 1729 D modifié).
En outre, cette situation constituera une opposition à contrôle fiscal, de sorte que l'administration pourra procéder à une taxation d'office (CGI, LPF, art. L. 74).
Ces dispositions s'appliqueront aux contrôles de comptabilité dont l'avis de vérification est adressé après le 1er janvier 2014 (loi 2012-1510 du 29 décembre 2012, art. 14). Sont donc visées les écritures des exercices non prescrits à la date de l'avis, ce qui peut concerner des exercices antérieurs à 2014.
Quel contenu pour les fichiers d'écritures ?
Ce qu'imposent les textes comptables
Aucune disposition légale ne précise la forme du livre-journal, du grand livre et du livre d'inventaire. Aussi, chaque éditeur de logiciel a élaboré ses propres masques d'enregistrement et modèles d'états, dont certains comportent de nombreux champs.
Infocert L'AFNOR et certains éditeurs de comptabilité réunis au sein d'Infocert ont créé la marque « NF Logiciel Comptabilité Informatisée » qui constitue un certificat de conformité aux exigences des instructions fiscales sur le contrôle fiscal des comptabilités informatisées.
Mais le code de commerce et le PCG listent les informations à enregistrer dans les écritures.
Le livre-journal enregistre chronologiquement tous les mouvements affectant le patrimoine de l'entreprise (c. com. art. L. 123-12 et R. 123-174, al. 1 ; PCG art. 420-4).
Tout enregistrement comptable précise l'origine, le contenu et l'imputation de chaque donnée ainsi que les références de la pièce justificative qui l'appuie (c. com. art. R 123-174, al. 2 ; PCG art. 420-2).
L'article 420-1 du PCG impose le principe de la comptabilisation en partie double.
Les opérations sont enregistrées dans les comptes dont l'intitulé correspond à leur nature (PCG art. 410-5).
Selon l'Ordre des experts comptables, plusieurs dates peuvent être associées à un même fait comptable. La date, dite date comptable, est en pratique celle de la pièce justificative (OEC, rec. 21-07 « Le livre-journal et le grand livre », 1987).
Contenu proposé par les logiciels
Contenu de base - Les données composant informatiquement une écriture comptable sont composées d'une ou plusieurs tables de données, reliées entre elles.
Chaque ligne d'écriture mentionne le montant porté au débit ou au crédit d'un compte du plan comptable, la date de valeur, l'origine, le compte d'affectation, les références à la pièce justificative.
Les informations enregistrées doivent permettre :
- d'examiner la validité d'un enregistrement élémentaire en le comparant à la pièce justificative de base ;
- de contrôler la validité d'un enregistrement porté dans un compte, à l'aide de la (ou des) pièce(s) récapitulative(s), et vérifier la validité des pièces justificatives de base qui ont été utilisées pour la pièce récapitulative ;
- de s'assurer de la concordance entre les opérations saisies par les journaux et par les comptes (égalité des mouvements des journaux avec ceux du grand livre).
Informations optionnelles proposées - La plupart des logiciels permettent de mentionner, outre le numéro de compte imputé, son intitulé, ainsi que le prévoyait le PCG 82. De même, ils numérotent chaque mouvement, ainsi que les lignes d'écritures les composant. Un champ « libellé » permet de fournir des informations en format texte sur l'opération enregistrée.
On trouve aussi fréquemment la possibilité d'affecter un code de lettrage ainsi qu'un code analytique à l'opération enregistrée.
Les grands progiciels de gestion intégrés (ERP) du marché enregistrent dans une ou plusieurs tables de la base de données un nombre élevé d'informations. Par exemple, le nombre de champs contenant des informations de dates dépasse souvent la vingtaine.
Exemple Les deux tables principales utilisées dans le progiciel SAP pour générer le livre-journal comportent plus de 420 champs.
En outre, aux côtés des données de base sont de plus enregistrées des informations de gestion.
Les informations à retenir pour le fichier des écritures comptables
Il est alors essentiel de sélectionner avec soin les types de champs devant figurer dans le fichier des écritures comptables lors de l'exportation ou l'extraction des données issues du progiciel.
Les informations de type analytique ou de gestion ne sont pas à inclure dans le fichier des écritures comptables à transmettre à l'administration dans le cadre de l'obligation de présentation de la comptabilité. Seules les écritures affectant la comptabilité générale sont visées.
Les écritures comptes mouvementant des comptes d'engagement ou analytiques (classes 8 et 9) ne sont pas non plus concernées.
Remarque Les demandes de traitement effectuées dans le cadre d'un contrôle fiscal de comptabilité informatisée peuvent requérir les informations de type analytique ou de gestion ainsi que les informations sur les engagements.
Certains logiciels permettent d'associer à l'enregistrement comptable un fichier PDF scanné à partir de la pièce justificative. Ces données ou fichiers images ne sont pas à inclure dans le fichier des écritures comptables.
La base documentaire de l'administration fiscale ne décrit pas les informations devant figurer dans le fichier des écritures comptables.
Toutefois, lors de contrôles récents, certaines BVCI ont remis à des contribuables un document décrivant une structure de « fichier unique, regroupant l'ensemble des écritures retracées dans les journaux, par ordre chronologique de saisie ». Les champs à intégrer « au minimum » étaient les suivants.
Stucture minimale d'une écriture comptable |
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1 |
Code journal |
2 |
Numéro d'opération comptable (numéro d'écriture) |
3 |
Date de comptabilisation |
4 |
Numéro de compte |
5 |
Code tiers (client / fournisseur / salarié ; si la table des numéros de compte ne permet pas de les individualiser) |
6 |
Intitulé du compte |
7 |
Numéro de pièce |
8 |
Date de la pièce |
9 |
Libellé de l'écriture |
10 |
Montant débit |
11 |
Montant crédit |
12 |
Lettrage des opérations réalisées avec des tiers |
Comment le vérificateur peut-il utiliser le fichier ?
En principe, l'objectif premier consiste à :
-• permettre l'import et la consultation des écritures ;
-• en vérifier la cohérence comptable (équilibre des écritures, cohérence avec la liasse fiscale) ;
-• sélectionner de manière pertinente des écritures en fonction de critères de dates, de montants, ou de libellés.
Les inspecteurs disposent sur leur poste de travail du logiciel Alto, alors que les BVCI disposent du logiciel ACL pour lire les données provenant du système d'information et effectuer des traitements complexes.
Selon la DGFIP, le logiciel Alto permet de filtrer les écritures sur les libellés ou en fonction de règles de syntaxe ou de seuils ou encore par numéros de compte.
Il est aussi possible de réaliser des totalisations et des calculs simples ou de sélectionner des écritures « remarquables ».
En revanche, il ne permet pas de rapprocher le fichier des écritures comptables avec des fichiers issus d'autres sources (par exemple, d'outils de facturation).
Le logiciel Alto évolue régulièrement, mais le détail de ses fonctionnalités n'est pas rendu public.
D'après nos informations, il est actuellement limité par la taille des fichiers à importer, soit au plus 2 M de lignes d'écritures. Or un tel volume n'est pas rare, même en PME, dans le cas d'ERP qui génèrent de nombreuses écritures automatiques, par exemple à chaque mouvement de stock.
Par ailleurs, le vérificateur ne peut prononcer un rehaussement sur la base de la seule consultation informatique des écritures comptables. C'est en demandant les pièces justificatives des écritures concernées que s'appuie le débat oral et contradictoire.
L'analyse de la cohérence des écritures transmises dans le cadre de l'obligation de présentation de la comptabilité ne constitue pas un traitement informatique au sens des CFCI et, de ce fait, ne bénéficie pas des mêmes garanties procédurales.
Quels traitements sont possibles, au plan technique, sur les fichiers ? Faute de connaître les fonctionnalités d'Alto, il est difficile d'en apprécier l'étendue. Certes, on peut présumer que le vérificateur s'attachera à reconstituer la cohérence des montants figurant dans les rubriques des liasses fiscales à partir des lignes d'écritures filtrées et totalisées par numéros de compte.
Mais rien n'empêche techniquement l'administration d'étendre ses analyses à d'autres vérifications.
À partir du fichier des écritures comptables, il est possible :
-• d'effectuer un cadrage des données comptables transmises et de rapprocher les journaux et la balance générale par numéros de compte ;
-• d'identifier d'éventuelles écritures non équilibrées ou suivant un schéma comptable atypique ou présentant un montant nul ;
-• d'analyser les dates d'écritures (date de valeur hors période comptable ou sans date comptable) ;
-• d'analyser la chronologie des enregistrements ;
-• de sélectionner des écritures comportant des numéros de compte ne faisant pas partie de la liste des comptes de la société, ou encore sans description, ou au contraire comportant des mots-clés (définis préalablement) dans la description ;
-• de vérifier que toutes les écritures font référence à des pièces justificatives ;
-• de vérifier que les numéros de mouvements et/ou de pièces ne présentent pas de trous de séquence.
Recommandation aux entreprises : se préparer
Dans l'attente de l'entrée en vigueur de cette disposition le 1er janvier 2014, les entreprises devraient mettre à profit l'année 2013 pour s'assurer de la conformité de leur système d'information comptable aux règles fiscales et comptables de tenue des comptabilités informatisées.
Une attention particulière devra être portée aux règles d'irréversibilité des écritures et des exercices clôturés.
De même, il conviendra de s'assurer des possibilités d'export des écritures aux formats requis et de la valeur probante conférée au fichier des écritures ainsi généré.
Enfin, on pourra utilement tester ces fichiers à l'aide de logiciel d'analyse de données, comme ACL ou IDEA.
-> À compter de 2014, les vérificateurs pourront exiger une remise des fichiers informatiques des écritures comptables pour la présentation de la comptabilité.
-> Les entreprises doivent dès maintenant réfléchir à sélectionner le type de champs à faire figurer dans leur fichier des écritures comptables.
-> Elles vont aussi pouvoir mettre à profit l'année 2013 pour vérifier la conformité du système d'information comptable.
-> Il est intéressant de se faire une idée des traitements que les vérificateurs pourraient mettre en oeuvre sur les fichiers qui leur seront remis.